Je n'aime pas être mère autant que je le pensais
Le témoignage de Sibelle, qui a réalisé qu'être maman, elle trouve ça très lourd
Du plus loin qu’elle se souvienne, Sibelle (nom d’emprunt) a toujours voulu des enfants. Elle rêvait même d’être une « gardienne » ou de devenir professeure. Devenir maman allait donc de soi, c’était sa destinée. « J’avais 5 ans et je nommais mes poupées. Je me voyais prendre soin de tous ces enfants. » La jeune femme s’inscrit donc au baccalauréat en enseignement, mais, très vite, elle détonne. « Je n’ai pas “fit in” dans la cohorte de gens colorés et imaginatifs qui composaient mes classes. Je n’avais pas envie d’aller aux 5 à 7 le jeudi. Je voulais aller faire mon filet de porc à l’érable de Ricardo dans mon petit 3 et demi. Je ne voulais pas faire le party. Je voulais être une madame : faire un souper, faire mon Costco, faire mon lavage. 55 ans ou 20, on le sait plus hein ? Rapidement, j’ai quitté le programme et l’université. La vie ne pouvait pas attendre. »
Être une madame
Devenir une madame, une maman aux yeux de ce que la société attend de nous, donc, c’est désormais l’objectif de Sibelle. Après ce qu’on pourrait qualifier de petite errance professionnelle, elle est un peu en crise existentielle. Elle laisse son chum, avec qui elle était depuis des années, puisqu’il ne veut pas fonder une famille assez vite à son goût. Rapidement après la rupture, elle rencontre celui qui deviendra le père de ses enfants. Nous sommes en novembre 2012. Deux ans plus tard, en juin 2014, Sibelle tient sa première fille dans ses bras. Elle en aura une deuxième en 2017 et accouchera d’un garçon en 2018. Cela sonne le glas de sa famille idéale.
« J’ai eu trois enfants en 4 ans. » La désormais mère d’une famille qu’on pourrait considérer comme nombreuse en 2025 reconnait sa chance absolue d’avoir eu trois enfants en parfaite santé et d’avoir réalisé son plus grand rêve : être maman. « Ils sont mon monde, ils représentent tout ce qui compte et ma plus grande motivation. Malgré les épreuves, je célèbre ma chance de me faire appeler MAMAN 7 999 fois par jour. »
Quand je lui demande quand elle a réalisé qu’elle n’aimait pas être mère, la femme proteste un peu. Même si elle m’a écrit pour se confier par rapport à ses sentiments très mitigés par rapport à la maternité, je crois que c’est difficile pour plusieurs femmes de s’avouer — et d’avouer au monde — que ce rôle-là n’est pas aussi plaisant qu’elle l’aurait cru au départ. C’est très mal vu de dire que si c’était à refaire, sachant ce qu’on sait, on ne le referait pas nécessairement. Mais dire qu’on regrette un peu, ce n’est pas, pour Sibelle, dire qu’on haït nos enfants ou qu’on n’aime pas du tout la maternité.
L’ultime tabou
Sibelle précise : « j’aime être mère. J’aime être LEUR mère. Mais je n’aime pas que ça complique tout, qu’il n’y ait jamais de bouton pause. J’aime faire des activités avec eux. Mais il y a toujours un moment où le regret s’installe, quand ça devient lourd et compliqué. » C’est difficile à avouer, mais parfois, elle se pose beaucoup de questions en son for intérieur. « Pourquoi j’organise une journée à la plage, quand vous pleurez tout le long en vous rendant qu’il fait chaud, que c’est long. Pourquoi chaque activité vient avec un questionnement de “pourquoi je m’impose ça”. Mon lunch n’est jamais assez bon pour eux, ils ne s’entendent jamais les trois en même temps sur l’activité à faire. Ça ne vous tente pas de faire UN château de sable à trois ou vous créer un monde pendant que je “chill” un peu moi aussi ? J’aime être mère, mais j’ai souvenir de nuits blanches où je pleurais autant que mon bébé en crise dans mes bras. Je me demandais pourquoi c’est ça? Pourquoi c’est de même ? Pourquoi je n’arrive pas à le faire arrêter de pleurer, à le soulager, à le consoler ? »
Le pire, c’est que Sibelle est capable de rationaliser ses sentiments et de se dire que les enfants captent et ressentent nos émotions. Elle est convaincue que son système nerveux était à ce moment — au moment où elle a eu ses bébés, je veux dire — en surchauffe et que si elle s’était calmée au lieu d’être en mode panique, elle aurait transmis une tout autre énergie aux petits. « Mais un moment donné, on fait toutes de notre mieux, selon l’énergie du moment et ce qu’on peut leur offrir. »
Je peux comprendre qu’une femme n’aime pas être mère. C’est une esti d’épreuve qui dure et qui dure.
La mère de trois se reconnaît dans certains discours qu’on commence à voir poindre dans l’espace public, où on entend des femmes avouer qu’elle déteste être mère. « Je peux comprendre qu’une femme n’aime pas être mère. C’est une estie d’épreuve qui dure et qui dure. » Cela semble difficile de vivre avec ce sentiment-là. Sibelle se sent impuissante face aux émotions qui s’emparent d’elle, parfois. Elle se sent comme une incapable, une impostrice. Quand les gens la voient dans la rue accompagnée de sa famille, c’est certain qu’ils croient qu’elle est « une bonne maman ». Sibelle fait tout ce qu’il faut : les cours, les activités, les fêtes, les sorties au parc.
« J’ai des compétences parentales au-delà de la moyenne. C’est ce qu’on me renvoie comme image/commentaire. Mes enfants sont très bien avec moi et je suis une excellente maman. Je les élève dans la bienveillance, l’acceptation, le respect pis toute la patente comme il faut. Et une fois de temps en temps, je me fâche, je lève le ton ou pète un fusible. Je réfléchis, vis un peu de culpabilité (encore plus), fais un retour sur la situation, m’excuse, rappelle que je suis humaine moi aussi et on repart. »
Vue de l’extérieur, Sibelle est LA mère exemplaire, celle qu’on envie sans savoir ce qu’elle cache à l’intérieur. Des sentiments d’inconfort et d’insatisfaction l’habitent en quasi permanence. « Ça ne me remplit pas pleinement comme je le croyais, comme ça m’a été annoncé ou vendu. »
Est-ce qu’elle se sent coupable de se sentir comme ça ? « Chaque seconde. » Sibelle se sent coupable d’être tannée le soir. Coupable d’avoir hâte de les coucher. Coupable au moindre manque de patience. Coupable de leur préparer le même sandwich (qu’ils veulent) tous les midis. Coupable de prendre une pause sur son cell. Coupable d’avoir envie de mettre ses écouteurs en cuisinant pour arriver à lire la recette. Coupable de demander à sa grande d’arrêter de chantonner non-stop. Coupable d’arriver à la maison a 17 h et de devoir se garrocher pour faire le souper (qu’ils n’aimeront pas) et les devoirs. Coupable d’être nostalgique du passé, de s’ennuyer de quand ils étaient plus petits et d’envier la paix qu’amèneront leurs prochaines années et leur autonomie grandissante. Coupable de se mettre en criss quand ils agissent simplement comme des enfants. Se sentir coupable 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24, finalement. C’est pas mal ça qu’elle expérimente, me confie-t-elle. Et c’est lourd, très lourd.
Une figure idéalisée et qui fait mal
Avant d’atterrir dans mes DM sur Instagram, Sibelle n’avait jamais vraiment parlé de son ressenti comme mère. Si elle a fait quelques blagues sur le sujet à des amies en prétendant que ça allait passer, que c’était juste une passe, elle voit désormais une travailleuse sociale affiliée à son CLSC. « Nous mettrons des choses en place ensemble. Je me suis sentie vue et entendue par elle. Je suis essouflée et je suis leur seule ressource à ces 3 enfants-là, papa étant quasi absent. »
Si je résume, Sibelle est une excellente mère, mais vit beaucoup de culpabilité, car selon elle, elle ressent des choses qu’elle ne devrait pas ressentir comme mère. Comme pour bien des femmes, l’image de la mère irréprochable pèse lourd. Je lui demande si elle aurait eu des enfants si la société ne valorisait pas autant la figure de la mère et de la famille. La femme avoue avoir internalisé cette image de mère parfaite très profondément. Comme nous toutes, ai-je envie de dire ?
« Cette glorification a fait partie de ma vie et a été une trame narrative tellement forte que je ne peux même pas imaginer ce que serait ma vie si ça n’avait pas été aussi glorifié. J’en rêve depuis que j’ai 5 ans. Je n’arrive pas à répondre que “non, je n’aurai pas eu d’enfants”. Je ne peux juste pas m’imaginer cette réalité. Par contre, je mets plusieurs “non-accomplissements” sur le “dos” de ma soloparentalité de 3 enfants depuis maintenant cinq ans. J’ai la forte conviction que lorsqu’on veut, on peut. J’ai eu des exemples de femmes fortes et réussissant à mener à terme des études tout en élevant leurs enfants. Je sais que ça existe. Je sais que j’utilise surement cette excuse-là pour pallier un certain manque de motivation. Mais d’un autre côté, j’en vis assez de difficultés. J’aurai rêvé d’essayer l’humour, l’écriture ou quelque chose dans les communications. Ou encore simplement j’aurai aimé étudier afin d’aller plus loin dans mon travail actuel. Je me suis inscrite à une formation universitaire. J’ai été admise, j’ai payé ma session, reçu mes livres… et ce fût tout. Je n’ai jamais eu l’énergie suffisante le soir pour m’y mettre un minimum. »
Sibelle tient à préciser qu’elle est parfaitement consciente de se plaindre le ventre plein. « J’ai un privilège entre les mains et je le sais. Je ne peux pas me plaindre et je le sais. J’ai réalisé mon rêve et c’est si pénible. Les discours entourant la maternité nous vendent ça comme étant une expérience si agréable. Je n’avais pas entendu tellement de discours décourageants sur la maternité et je ne les aurai surement même pas écoutés. »
Si elle a décidé de témoigner, c’est parce que la maman est persuadée que les diverses difficultés que représente l’expérience de la parentalité devraient être davantage abordées dans l’espace public. Mais surtout accueilli dans les discussions. Parce que le sujet des regrets demeure quand même extrêmement délicat et tabou. Le jugement n’est jamais bien loin, malheureusement. Et il y a aussi ce que les enfants pourraient ressentir en entendant un tel discours. Parce que ça n’a rien à voir avec l’amour qu’on leur porte. Au contraire. C’est difficile de faire cohabiter l’amour maternel et cette écœurantite qui peut parfois prendre certaines femmes par surprises, les faire se sentir comme des mauvaises mère.
Je vais y aller d’une anecdote très personnelle. Quand j’ai accouché de ma première fille, j’ai trouvé ça très difficile. Contrairement à Sibelle, le désir d’être mère n’était présent que depuis quelques années, et je n’avais jamais tenu un seul bébé dans mes bras avant le mien. Je n’avais pas gardé d’enfant ni été monitrice de camp de jour. Au bout de quelques semaines à me trouver poche, inadéquate et impatiente, j’ai appelé ma mère en pleurant. Il faut savoir que je suis enfant unique et que j’ai toujours eu une relation fusionnelle avec ma mère. Dans mon livre à moi, c’est quasiment une sainte. Elle jouait toujours avec moi et ne manquait jamais de patience. Je me sentais comme le centre de son univers. J’ai appelé ma mère, donc, et je lui ai demandé comment elle avait fait, elle, pour être cette mère-là, la mère parfaite, jamais tannée et toujours extra-aimante. Elle est partie à rire et m’a répondu : « mais ma pauvre fille, j’étais tellement écœurée parfois, tu me tombais tellement sur les nerfs des fois, tu n’arrêtais JAMAIS de parler. J’aurais eu le goût de te passer par une fenêtre. C’est juste qu’on n’avait pas le droit de le laisser paraître. C’est juste normal comment tu te sens ». Ça m’a tellement soulagé d’entendre ma mère me ventiler ça dans le combiné du téléphone.
J’aurais tellement aimé qu’elle me parle de ça PENDANT ma grossesse. Pour que je me prépare à ce qui allait s’en venir. Pour que je trouve ça normal et que je ne me juge pas autant d’expérimenter des sentiments tout à fait normaux. Comme ça, le choc aurait été moins grand et, comme bien des femmes, j’aurais sans doute passé moins de temps à ruminer l’idée selon laquelle j’étais une mauvaise mère alors que j’en étais une excellente. Pas parfaite, pas un robot ni une sainte, mais tout à fait adéquate.
J’airais aimé ça savoir que cette culpabilité de n’être jamais assez, de ne pas me sentir en état de grâce à longueur de journée arrive dans notre vie au moment où on expulse le placenta. Se sentir inadéquate est souvent le cadeau empoisonné qui vient avec la maternité. On doit apprendre à vivre avec ça. C’est ce sur quoi travaille Sibelle en ce moment, tout en continuant à préparer des sandwichs à la moutarde baseball.
* Si vous voulez me raconter votre histoire où témoigner d’une réalité qui vous interpelle, n’hésitez pas à slider dans mes DM.
Article très intéressant! Je trouve que Sibelle est bien dure envers elle-même et la petite phrase "quand on veut on peut" me paraît bien trop facile. Une de ces phrases qui sort souvent de la bouche de privilégié.e.s, ou de gens qui veulent te vendre qqchose :)
Le père absent c'est pas mal ça le bât qui blesse dans cette histoire, il me semble. Donc que Sibelle soit tannée de gérer 3 enfants seule, c'est bien compréhensible.
Femme forte, elle en est une. Humaine, elle le reste tout de même. Coeur sur elle.
Merci pour ce récit… qui me fait réaliser finalement la chance que j’ai eue que ma propre mère me raconte ça, justement, même avec humour, que ce n’était pas facile et qu’elle s’était souvent sentie désemparée ! Effectivement un gros poids de moins quand j’ai eu ma fille… m’attendant pas à une expérience parfaite ☺️